Le marché mondial de la mode d'occasion est aujourd’hui estimé à 177 milliards de dollars en 2022 et devrait quasiment doubler d'ici 2027. Comment expliquez-vous ce succès ?
Juliette Lasnon : L’engouement de la seconde main a démarré à partir de 2008, première crise économique. On a assisté aux prémices de sa démocratisation, et puis, l’avènement du digital a permis de faciliter les échanges. La période Covid et ses conséquences économiques ont aussi intensifié le phénomène, les consommateurs sont à la recherche de pouvoir d’achat pour finalement consommer tout autant, mais moins cher.
Finalement, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’origine de la seconde main vient plus d'une vocation économique que d'une vocation écologique ?
Jean-Philippe Taverdet : C’est complétement une vocation économique. Ce qui a démocratisé la seconde main, ce n'est pas la conscience écologique, mais la volonté des jeunes (et pas seulement) de pouvoir acheter ce qu’ils n’ont pas les moyens de se payer en neuf. Et puis, la vente de vêtements d’occasion permet aussi de se donner les moyens de consommer. C’est un cercle non vertueux. On peut comparer avec notre consommation d'énergie : l’énergie renouvelable n’a pas diminué notre consommation. Elle ne remplace pas les énergies fossiles, mais s’ajoute à elles. De même, les courbes de vente du neuf dans la mode augmentent.
Cette tendance à revendre de la seconde main pour pouvoir augmenter son pouvoir d’achat sur le marché de la première main concernerait 70% des utilisateurs selon le cabinet Boston Consulting Group. On parle d’effet rebond. En avez-vous identifié d’autres ?
Juliette : Le transport est un premier effet rebond. Certaines plateformes se vantent d’avoir un impact positif sur la planète, mais c’est sans compter sur l’aspect logistique. Aujourd’hui, les produits vont de Lille à Marseille, voire en Espagne ou en Italie. La démultiplication des échanges, ceux qui ne sont pas en main propre, a un impact sur l’empreinte carbone.
Jean-Philippe : On observe aussi une dévalorisation très forte de la valeur du bien. Les vêtements circulent à 1€, 2€, ça n’a plus aucun sens. Réparer ou upcycler, à ce prix-là, n’est pas envisageable. Dans l’esprit du consommateur, le vêtement est bon à mettre à la poubelle, il ne vaut plus rien. Pour inciter quelqu’un à un geste écologique et pour n’importe quel geste dans la conduite du changement, il faut une récompense. C’est d’ailleurs pour cela que la seconde main a pris une telle ampleur. La récompense est immédiate : je gagne de l’argent pour pouvoir reconsommer. Mais avec cette pratique du dumping (ndlr : dévalorisation des prix), on devient déficitaire dans le geste écologique et on ne le fait plus. Ça c’est le deuxième effet rebond. Le troisième, ce sont les associations. Hier encore, elles collectaient des habits de bonne facture pour les remettre dans le circuit de l’insertion sociale. Aujourd’hui, lorsque que l’on a des vêtements en bon état, on ne les donne plus, on les revend. Ce qui reste finalement à l’économie solidaire, ce sont les vêtements obsolètes, abîmés ou qui ne se vendent plus.
En quoi la seconde main s’apparente à une autre forme de fast fashion ?
Jean-Philippe : On assiste à un renouvellement permanent. A partir du moment où la seconde main s’est démocratisée, les passionnés de mode ont commencé à consommer plus régulièrement, car les vêtements qu’ils achetaient pouvaient se revendre sur un autre circuit de distribution. Ils sont, eux-mêmes, devenus des commerçants de seconde main. C'est ce qu'on a appelé, très justement, l'aspirateur a fast-fashion ou encore la fast seconde main.
Juliette : Et ceux qui profitent de ce renouvellement, ce sont les acteurs de la fast fashion. Ainsi, sur la plus grande plateforme de seconde main, Vinted, les marques de la fast fashion contribuent le plus aux transactions du textile : 60% des transactions réalisées sont préemptées par 4 groupes, Inditex (Zara), Shein, H&M et Primark.
Quel rôle jouent les plateformes de seconde main dans l’accentuation de ce phénomène de fast seconde main ?
Juliette : Les plateformes font des opérations commerciales pour insister sur les prix attractifs, les frais d’envois peu élevés. Certaines commencent à proposer des lockers (armoires à codes), comme Amazon ou Mondial Relais. Elles développent des solutions logistiques pour réduire leurs coûts de transport et s’inspirent des autres marketplaces en reprenant leurs pratiques. Sur Vinted, chaque seconde, 2,2 transactions sont effectuées. La plateforme gagne sa vie sur ces transactions, et elle fait tout pour les développer au maximum.
Le développement de la seconde main a-t-elle eu des impacts positifs ?
Juliette : Vinted a quand même eu le mérite de démocratiser la seconde main textile. Alors qu’avant, celui qui achetait de la seconde main était considéré comme le radin, aujourd’hui c’est plutôt le malin. Il n’y a plus de honte à acheter d’occasion. Et je pense que sur de l’échange en main propre, il y a une vraie valeur.
Avec MooM, vous proposez d’accompagner le changement de comportement des dirigeants et des consommateurs pour réduire leur impact grâce à une solution technologique. En quoi cela consiste-t-il exactement ?
Jean-Philippe : Notre premier métier est de faire du conseil. On accompagne les entreprises sur la manière de changer leur modèle économique. Ensuite, on est né, effectivement, en tant que solution technologique. Notre application permet à chaque consommateur d’avoir un placard digital de l’ensemble de ses biens pour qu’il se rende compte de tout ce qu’il accumule, et de combien cela vaut sur le marché de la seconde main. L’objectif, à terme, est que les marques se rassemblent pour permettre à chaque consommateur d’avoir une vision unifiée de ce qu’il possède.
Juliette : L’application a été conçue sur ce principe : la seconde main n’est qu’une étape du cycle de vie. Elle donne accès à toutes les solutions pour soit prolonger la durée de vie du vêtement, soit lui donner une seconde vie. L’idée est de créer un hub où se retrouvent tous les acteurs du secteur : les consommateurs, les acteurs de la réparation, du réemploi, de l’upcycling, du recyclage et les marques. La pédagogie est aussi au cœur du projet parce que beaucoup, encore aujourd’hui, ne connaissent pas les bonnes pratiques pour éviter qu’un produit ne se transforme en déchet. MooM est une entreprise à mission et son but est de mettre le produit au cœur de toutes les attentions, pour qu’il dure le plus longtemps, qu’il profite au plus grand nombre et ne devienne jamais un déchet.
Bérénice ROLLAND