« L’intelligence collective, c’est une autre façon de dire que les briques du vivant interagissent », Guy Theraulaz, directeur de recherche au CNRS, nous donne sa définition de l’intelligence collective. Son champ de recherche ? L’observation des comportements collectifs chez les animaux. Il poursuit, « notre corps est constitué d’une société de cellules qui communiquent les unes avec les autres. Au cours de l’évolution, l’agrégation de ces cellules a constitué des organismes de plus en plus complexes, jusqu’à former des sociétés d’organismes ». Nos sociétés humaines sont à l’image de ce que l’on observe à l’échelle des organismes.
Et chez les animaux ? Leur intelligence collective n’est plus à prouver. Elle permet « aux individus de se coordonner » pour trouver des « solutions collectives à des problèmes qu’un simple individu ne serait pas capable de résoudre ». Les exemples dans le monde animal ne manquent pas. Il suffit de voir s’animer des bancs de poissons ou encore, de lever la tête et de regarder le ballet aérien des étourneaux pour réaliser que l’intelligence collective est partout. Se déplacer, se nourrir, construire un nid ou encore échapper aux prédateurs, elle les aide à chaque étape de leur vie.
On retrouve les formes les plus élaborées chez les insectes sociaux. Certaines fourmis peuvent créer des « structures auto-assemblées avec leurs corps », s’enthousiasme Guy Theraulaz. Les fourmis de feu peuvent bâtir « des sortes de radeaux pour pouvoir flotter sur l’eau en cas d’inondations ». D’autre forment des « ponts vivants » pour traverser les espaces vides. L’action collective est parfois plus agressive. Lorsqu’elles sont attaquées par les frelons, les abeilles japonaises s’agrègent autour de l’intrus. Elles font vibrer leurs muscles ailières jusqu’à faire monter la température à plus de 47°C. La chaleur va cuire le frelon.
Les comportements collectifs des animaux sont le résultat de plusieurs millions d’années d’évolution
Internet, un formidable outil d’intelligence collective
« La société humaine est confrontée aux mêmes questions », continue le chercheur. Nous devons répondre aux mêmes besoins de nous nourrir, construire nos maisons, nous défendre et nous déplacer. La différence est dans les types de solutions, car « nous n’avons pas les mêmes capacités cognitives ».
Les changements sont aussi plus rapides dans nos sociétés. « Les comportements collectifs des animaux sont le résultat de plusieurs millions d’années d’évolution ». Pour l’Homme, on constate le phénomène inverse : une augmentation récente et très rapide des interactions entre individus. En cause ? La moitié de la population vit aujourd’hui en milieu urbain, et d’ici 2015, 68% de la population sera citadine, selon une étude de l’ONU. Internet et les communications mobiles accentuent ce mécanisme. « Un des effets que l’on observe est que cela amplifie les comportements mimétiques », a défaut de développer de l’intelligence collective, constate ce spécialiste des comportements.
Depuis peu, les recherches de Guy Theraulaz portent sur les traces sociales émises par les sites d’avis comme TripAdvisor ou encore Waze. Ces plateformes utilisent les traces (ndrl : avis) des autres pour aider l’utilisateur dans sa prise de décision. Et l’« on observe une diversité de comportements, certaines personnes vont indiquer les bonnes informations et renforcer l’aspect coopératif, tandis que d’autres vont signaler de mauvaises informations ». Toutes les traces ne sont pas fiables. Il faut réfléchir à la manière dont on va échanger ces traces, lesquelles en particulier et pour quelle durée de vie, explique le chercheur. La finalité de l’exercice ? « Agréger les expériences individuelles pour que la collectivité bénéficie de l’ensemble de ces informations ».
La leçon du monde vivant
Pourquoi ne pas s’inspirer du comportement animal ? On utilise déjà les modèles de comportements collectifs des insectes sociaux, pour résoudre certaines difficultés de la vie quotidienne. Dans le domaine de l’ingénierie, « on prend une partie de ce que fait le vivant et on l’adapte au problème que l’on doit résoudre ». Les algorithmes de fourmis artificielles s’inspirent des fourmis naturelles et de leurs traces de phéromones. Utilisées en télécommunication, les fourmis artificielles analysent en permanence l’état des circuits et permettent de faire du routage, de l’équilibrage des charges dans les fils de communications. Elles évitent la saturation des réseaux.
Imiter le monde vivant permet de résoudre des problèmes d’une grande complexité. Pour l’avenir, on commence à imaginer des solutions dans la lutte contre le changement climatique. Les scientifiques s’intéressent aux termitières et à leur climatisation naturelle. « La microstructure des nids favorise les échanges de gaz carbonique et d’oxygène selon que l’on se trouve dans un milieu chaud ou frais », explique l’éthologue. Tout l’enjeu est d’adapter la même logique à nos bâtiments pour intégrer une climatisation passive. D’autres secteurs pourraient bénéficier du même principe. Les applications bio-inspirées sont nombreuses, d’autres sont à inventer. Le biomimétisme est une clé pour nous adapter aux enjeux futurs.
Bérénice ROLLAND
Pour aller plus loin :
Les promesses de la science - Fabienne Chauvière (chapitre : l'intelligence collective au service de l'homme), Flammarion, Paris, 2019
L'intelligence en essaim - Article de Guy Theraulaz et Eric Bonabau, Pour la science
CEEBIOS - Centre d'études et d'expertise en biomimétisme
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