[INTERVIEW] Cédric Routier et Agnès D'Arripe: “L’inclusion est profitable pour tout le monde”

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04 décembre 2023
À l'occasion de la Journée internationale des personnes handicapées le 3 décembre dernier, nous avons rencontré Cédric Routier et Agnès D'Arripe, cofondateurs du projet DESHMA, acronyme qui désigne le Certificat d’Aptitude à l’Intervention Pédagogique en Duo concernant les Expériences du Handicap. Au sein d’HADéPaS, l’une des composantes du laboratoire ETHICS (EA7446) de l'Université Catholique de Lille, ce projet se démarque en tant que modèle pédagogique original et inclusif, visant à sensibiliser les étudiants au handicap.
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Séance de formation DESHMA
Séance de formation DESHMA ©HaDéPas

En quoi consiste le projet DESHMA et quels sont ses objectifs principaux ? 

Agnès D'Arripe : C'est un projet en deux volets. D'une part, il y a une formation pour des duos. Une personne qui vit des situations de handicap et une personne qui est, soit un enseignant-chercheur ou formateur de métier, soit un professionnel de l'accompagnement. Pendant un an, elles vont apprendre à travailler, à construire le cours et à réfléchir sur une méthode d’évaluation des étudiants. Le deuxième volet correspond au moment où chaque duo va donner un cours de trois heures à des étudiants de troisième année de Licence d’ESSLIL - Ecole des Sciences de la Société - Lille. Il s’agira d’une formation de 18h de sensibilisation aux expériences du handicap, délivré par un auto représentant et une personne qui a une expérience de la formation. 

Cédric Routier : On expose aux étudiants une manière différente d'aborder ce qu'est le handicap, via l'expérience de ceux qui le vivent, sur les thèmes qu'ils souhaitent traiter et sur la forme d’enseignement qu’ils auront choisi. Nos attentes ne sont pas que les personnes arrivent avec un cours universitaire académique classique. Le but est qu’ils puissent construire un cours qui leur ressemble, grâce à la dynamique de leur duo et par la manière dont ils envisagent d'aborder le sujet. Ce projet permet aux étudiants d’ESSLIL de mieux comprendre les enjeux des champs dans lesquels ils vont être amenés à exercer. Il y a d’ailleurs un certificat universitaire à la clé. 

 La dynamique que l’on recherche pour nos duos est celle d'un partage d'égal à égal et d'une construction ensemble

Comment le duo est-il choisi ? Sur quels critères ? 

AD : La formation commence par deux journées, où on invite des personnes extérieures, dont des anciens de la formation, des professionnels, des étudiantes et étudiants. Toutes ces personnes vont travailler ensemble pour réfléchir à plusieurs questions : Qu'est-ce que nous aimerions trouver dans un cours sur le handicap ? Que nous manque-t-il ? Qu'est-ce qu'il nous faudrait ? Qu'a-t-on besoin de savoir ? Des thèmes vont émerger pour l'année. Ensuite, les duos vont se former par affinité par rapport au thème. On est attentif au fait qu'on ne veuille pas de duos de personnes qui se connaissent.  

CR : Le but est de déconstruire des habitudes. Les personnes inscrites sont déjà impliquées dans ce champ professionnel. Si c'est pour reproduire le même schéma d'accompagnement, aussi bienveillant et égalitaire soit-il, on risque de ne pas avoir  la dynamique que l’on recherche, qui est celle d'un partage d'égal à égal et d'une construction ensemble. On ne veut pas se retrouver dans une situation où l’un fait le travail de l’autre. On a déjà eu le cas de figure, où une personne qui présentait des troubles du spectre autistique et qui avait une vraie capacité à surfer sur le web, à aller chercher de l'information, prenait le dessus. 

 

Quelles sont les méthodes et outils utilisés pour sensibiliser au handicap mental ? 

AD : Les méthodes sont multiples et varient selon les duos. Extraits de films, podcast, jeux... Un duo a créé son propre jeu de l’oie du handicap. Un autre duo qui travaillait sur le droit des personnes en situation de handicap, avait utilisé le jeu de la Convention des Nations Unies pour les personnes handicapées. Il peut y avoir des cours plus classiques, avec un support type powerpoint. 

CR : Des supports existants sont utilisés, notamment pour apprendre aux étudiants ce qu'est le FALC, Facile A Lire et à Comprendre, qui permet d'aborder la délivrance de l'information, pour qu'elle soit accessible, simple et compréhensible pour tout un chacun.  

Remise de diplômes universitaires promotion 2022
Remise de diplômes universitaires, promotion 2022  ©HaDéPas

 

Comment le projet a-t-il évolué depuis sa création en 2016 ?  

CR : Initialement, cette formation est née pour l'expérience de la déficience intellectuelle, qui est un domaine que nous connaissions mieux, car nous travaillons avec des personnes concernées par ce vécu. Depuis deux ans maintenant, on ouvre aux personnes en toute situation de handicap, sous réserve que les personnes pensent avoir la motivation, la possibilité et la capacité. 

 

Quelles sont les principales barrières que vous avez rencontrées lors de la mise en œuvre du projet ? 

AD : On a envie d'avoir des enseignants-chercheurs qui viennent de tous les horizons et qui ne travaillent pas forcément avec des personnes en situation de handicap. Malheureusement, on se rend compte qu’on a du mal à sortir des formations de la santé. L'idée à l'origine de notre projet est que le cours soit également délivré à des étudiants dans d'autres filières, comme le journalisme, les sciences de l'ingénieur, la médecine, le droit… 

CR : Certaines personnes ne voient pas l'intérêt de ces cours, car ils sont en contact avec des associations qui travaillent dans le champ du handicap. Ils partent du postulat qu’ils savent déjà tout et jugent ne pas en avoir besoin. C'est toujours marrant, car on constate les pratiques et leur conception du handicap, puis on rit sous cape. Un autre frein, c'est que les anciens chercheurs qui se sont formés, c'est essentiellement ceux de notre équipe. Au sein du laboratoire, l'initiative est connue, les gens sont inscrits, aussi parce qu'ils y travaillent. Comme si le handicap était uniquement l’affaire de ceux qui travaillent dessus. Tout le monde est concerné. On a une grande difficulté à avoir des gens qui s'inscrivent. Il y a une conception du handicap, qui peut être teintée de paternalisme et de charité. Mais ce n’est pas une formation où l’on va venir projeter son regard doloriste et paternaliste sur ce que les gens vivent. On va construire l'égalité et suivre la direction qu'elle ou il souhaite. 

Le handicap n'est pas uniquement l'affaire de ceux qui travaillent dessus. Tout le monde est concerné.

Est-ce que vous pouvez partager des moments marquants ? 

AD : Quand on fait le bilan de la formation, on sent qu’ils sont fiers d’eux. Certains sont les premiers dans leur famille à obtenir un diplôme universitaire. Ce sont des personnes qui vivent avec une déficience intellectuelle, qui ont eu des rapports compliqués avec leur scolarité. Elles voient enfin leur valeur reconnue et cela donne du sens à notre travail. 

 

Avez-vous des recommandations ou des conseils pour d'autres institutions ou organisations souhaitant mettre en place des projets similaires pour promouvoir l'éducation inclusive ?

 

CR : L’INSHEA (Institut national de formation et de recherche pour l'éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés) existe et travaille sur la question de l'éducation inclusive. L'Institut publie des recommandations, des articles et un certain nombre de pratiques inclusives. Ce qui n’est pas inclusif, c’est de considérer que tout le monde est au même rythme, dans les mêmes délais temporels et d’avoir le même mode d'évaluation pour toutes et tous.  

AD : Il faut accepter de changer ses règles et de bouleverser les choses, sinon, il n’y aura jamais d’inclusion. Il faut également apprendre à faire confiance aux personnes, qui certes, n’ont pas les mêmes capacités que les autres, mais ça ne signifie pas que ces personnes en sont dépourvues. L'inclusion, c’est profitable pour tout le monde. Réfléchir à des politiques d’inclusion et avoir de vraies réflexions pour les personnes qui ne rentrent pas dans les normes validistes de la société sera au bénéfice de tous. 

 

Rokhaya CORREA

 

 

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