« Ton vécu a le pouvoir de changer les choses », peut-on lire sur le site internet de la nouvelle application Yakadir. Lancée en octobre 2022, par le fondateur d’HEROIC santé, Philippe Mougin, cette application s’avance sur un terrain encore vierge : celui de la participation citoyenne en santé. Son but : donner la parole aux usagers du système de santé afin que leur expérience bénéficie à tous. Aux acteurs de santé de s’emparer de cet outil !
A la suite de la plateforme HEROIC santé, vous venez de lancer une application spécialisée dans la participation citoyenne, Yakadir. Quelle est son ambition ?
Yakadir est la continuité naturelle d’HEROIC santé. Alors que la plateforme de santé collaborative avait pour but de créer un espace d’entraide entre patients chroniques et aidants, Yakadir va plus loin. On s’est vite aperçu des limites de la coentraide entre patients. Les solutions viennent des malades car ils connaissent leurs besoins mieux que personne, mais ils n’ont pas toujours les moyens de les mettre en place. Seuls les institutionnels, les acteurs privés et publics du soin ou de l’hospitalisation peuvent actionner les leviers. C’est là qu’intervient la participation citoyenne, comme solution pour faire remonter les besoins des patients aux décideurs. La mission de l’application est donc de permettre à chacun de donner son avis sur ce qu’il pense du système de santé.
Yakadir est donc un véritable outil de participation citoyenne. Concrètement, comment cela fonctionne-t-il ?
L’idée de l’application est de capter les récits de vie, de comprendre ce qu’est l’expérience d’un patient confronté au système de santé. Concrètement, le patient peut quand il veut et où il veut nous laisser un message vocal sur l’application. Par exemple, « je sors de chez mon médecin, j’en ai marre, j’ai encore attendu 20 minutes et je n’ai pas compris ce qu’il m’a dit sur mes médicaments ». Puis, c’est au tour des outils d’analyse de traitement automatique des langages (NLP), une forme d’IA, d’entrer en action. Ces technologies vont traiter les messages vocaux, comprendre si l’expression était positive ou négative, identifier les sujets évoqués et ceux, corrélés les uns avec les autres. Enfin, d’autres outils vont nous permettre de creuser certaines problématiques en envoyant des questions spécifiques, des mini-questionnaires, etc.
A quoi serviront les données des patients récoltées ?
L’objectif final de l’application Yakadir est de comprendre les besoins, les difficultés et les préférences des usagers du système de santé. Le site internet permet, grâce à de la visualisation de données, d’accéder aux grandes tendances exprimées. Par exemple, les délais d’attente aux urgences ou encore, la difficulté de prise de rendez-vous chez les spécialistes. Tous les trimestres, nous réaliserons un baromètre qui sera adressé à la presse, aux autorités de santé, au ministère de la Santé, aux députés et sénateurs en charge de la santé, pour leur faire remonter les données du terrain. De plus, sur certains sujets, nous irons jusqu’à monter un dossier pour mobiliser les acteurs concernés. A l’image de la Surfrider foundation ou de « We don’t have time » de Greta Thunberg, nous défendrons nos causes dans le domaine de la santé. Et puis, sur le long terme, nous pourrions faire évoluer cet outil de participation citoyenne vers des sujets hors santé : l’urbanisation, la mobilité, l’écologie, l’énergie… Aujourd’hui, les outils disponibles en France pour que les citoyens français s’expriment sont nombreux, mais complexes à manipuler, très peu de personnes les utilisent. Notre but est de dire aux gens : votre parole à le pouvoir de changer les choses.
Une parole qui aujourd’hui est très peu écoutée par les acteurs de la santé. Avez-vous pu identifier les freins à l’expression citoyenne dans ce secteur ?
Depuis juillet dernier, les établissements hospitaliers ont l’obligation de mettre à disposition du public un espace sur leur site internet dans lequel les patients peuvent porter plainte ou faire des réclamations. Une démarche qui se simplifie, mais qui reste encore bien insuffisante. Aujourd’hui, seul 1 patient sur 1000 ose donner son opinion à un acteur de santé.
Il existe de nombreux freins lors d’une consultation citoyenne. Notre expertise en sociologie nous a permis de les identifier : le lieu, la capacité à prendre la parole en public ou encore la date. Sur un site internet, les usagers sont obligés de donner un certain nombre d’informations les concernant. L’enjeu de l’anonymisation est crucial. Il faut arriver à un système où votre voix à un pouvoir, mais surtout votre voix associée à celles des autres. Plus ce nombre de voix sera important, plus les choses évolueront rapidement. Sans oublier, le lien de subordination entre un patient et un acteur de la santé. Lorsque je me rends à l’hôpital, c’est mon corps, mes émotions et ma santé qui sont en jeu, difficile alors d’être juge et partie.
En parallèle, vous réalisez des enquêtes qualitatives dans le domaine de la santé. Dans quel but et à qui s’adressent-elles ?
Notre modèle économique fonctionne comme un institut de sondage, mais spécialisé en santé qualitative. On récolte les avis des usagers sur le système de santé. Mais, à la différence d’autres applications, nous ne commercialisons aucune donnée personnelle. D’ailleurs, la donnée individuelle n’a aucun intérêt pour nous, à l’inverse de la donnée agrégée, des tendances qui seules, pourront avoir un impact auprès des décideurs. Nous cherchons aussi à protéger ces data par une politique full RGPD et nos règles d’anonymisation sont très strictes. Les clients de ces enquêtes sont des industriels de la santé : big pharma, biotech, des startups, mais également des agences régionales de santé, des établissements de la santé ou des organisations professionnelles de santé comme l’URPS, qui ont besoin de comprendre les parcours de soin de leurs patients pour mieux les optimiser.
Un modèle éthique de données en santé est donc possible ?
L’éthique en santé passe par deux conditions. La transparence vis-à-vis de ceux auprès de qui on récolte la donnée. Quand on propose une enquête à nos patients, ils connaissent le mandataire de l’étude, le nombre de questions, leur contenu et ce que l’on va faire de leurs données. La deuxième condition est une question de bon sens. Si je gagne de l’argent en récoltant de la donnée, celui qui me fournit cette donnée, en l’occurrence l’usager, doit être rétribué. C’est ce que l’on appelle la redistribution de valeur. Aujourd’hui, on redistribue 20% de la valeur de l’étude aux répondants. Si on peut demain, ce sera 25%, 40% ou même 50%.
Bérénice ROLLAND
Pour en apprendre plus sur l’engagement de Yakadir pour le futur, rendez-vous à la BIENNALE ECOPOSS :
- La démocratie en santé et la participation citoyenne : faire entendre les besoins et préférences des citoyens – vendredi 28 octobre (La démocratie en santé, la participation citoyenne afin de nous assurer que les besoins et les préférences des usagers du système de santé soient pris en compte, ainsi que la mise en place d’un modèle éthique et rentable autour des données de santé).