Imaginer l’avenir pour le construire, c’est ce que prône Rob Hopkins. Enseignant en permaculture et initiateur du mouvement international des “villes et territoires en transition”, le britannique est l’invité du Réseau Transition Hauts-de-France, inspiré de son action. Lors d’une journée de conférences, Rob Hopkins revient sur l’importance de cette imagination et les enjeux de la construction du monde de demain. Nous sommes allées à sa rencontre pour une interview exclusive.
Pensez-vous que nous manquons d’imagination ?
Une étude aux Etats-Unis démontre que 75% des Américains sont maintenant d’accord pour dire que le changement climatique est une urgence, mais seulement 15% croient que nous pouvons y faire quelque chose. Je m’inquiète donc que nous nous dirigions collectivement vers le désespoir. Je m’inquiète aussi du fait que nous faisions face à une crise de l’imagination, à une période où nous avons besoin de tout réimaginer.
Mon travail consiste à aider les gens à imaginer cette transition. Nous ne pouvons construire quelque chose que si nous l’imaginons en premier. De nombreux facteurs dans notre monde aujourd’hui ont créé une sorte de tempête qui a un impact réel sur notre imagination. Lorsque nous sommes stressés, anxieux, notre imagination rétrécit. Nous transportons ces appareils dans nos poches au quotidien qui mangent notre attention, notre concentration et notre imagination. Nous travaillons beaucoup trop. Alors que la société devient de plus en plus inégalitaire, notre imagination commence aussi à se fissurer. Je pense que nous avons créé les pires conditions pour que notre imagination puisse se développer.
Pour réussir à changer les choses, nous avons besoin de récits. Le travail que je fais est de créer un futur vivant pour les gens et pour y arriver, nous avons besoin de musique, de film, de moyens très créatifs, car en ce moment nous sommes bloqués et chacun se regarde pour savoir qui va agir en premier.
L’éco anxiété est pour vous une conséquence de ce manque d’imagination ?
Pas nécessairement, je pense que l’éco anxiété est une réponse naturelle. Nous ne devons pas nous inquiéter des personnes éco anxieuses, mais de ceux qui ne le sont pas. Comment peut-on fonctionner dans le monde aujourd’hui et ne pas être éco anxieux ? Cela signifie que l’on ne prête pas vraiment attention à ce qui nous entoure ou que les médias qui ont notre confiance nous ont mentis. Pour moi, c’est une chose très naturelle, la question est : comment transformer cette éco anxiété en action ?
Si une idée n’est pas un peu ridicule, c'est qu'elle n'est pas assez ambitieuse
Comment pouvons-nous libérer notre imagination pour créer un futur plus désirable ?
D’abord, nous devons reconnaitre que c’est un problème. Toutes les organisations ont besoin de se réimaginer. Elles ne sont plus appropriées pour le monde vers lequel nous nous dirigeons. Pour cela, nous avons besoin de récits sur des initiatives fortes pour inspirer les gens. Il existe une femme, à Londres, [Phoebe Tickell] qui a fondé « the imagination activist training », fonctionnant au sein d’une des municipalités de Londres. Je pense que ce mouvement de personnes devenant des “activistes de l’imagination” est une chose très importante.
Qui sont ces « activistes de l’imagination » ?
Ce sont des personnes qui posent les questions ambitieuses : « et si ?», des personnes qui n’ont pas peur de répondre « yeah, ok » aux gens qui ont des idées soi-disant ridicules. Nous avons besoin de propositions ridicules. A mon sens, si une idée ne l’est pas ne serait-ce qu’un peu, alors c’est qu’elle n’est pas assez ambitieuse. Nous avons besoin de ces gens capables de pousser les autres à penser plus grand, de façon plus ambitieuse.
Une fois que vous avez ces idées, comment les transformer dans le monde réel ?
J’ai voyagé à travers l’Europe. Je ne prends pas l’avion donc je me rends uniquement dans les endroits accessibles en train, mais j’ai vu beaucoup de lieux extraordinaires. J’ai pu constater que même un groupe composé de 5 à 10 personnes peut réaliser des choses incroyables s’ils ont un rêve, une vision. Une chose qui s’est toujours dit dans les transitions est « faites quelque chose ». Extinction Rebellion affirme que nous sommes une équipe (“we are a crew”) : personne ne peut juste s’assoir et regarder les autres agir, nous avons besoin de tout le monde. Nous avons aussi besoin de créer du temps pour s’y consacrer. J’ai rencontré tellement de personnes qui passent leur temps à faire des choses utiles. Ils se sentent plus connectés à l’endroit où ils vivent. La transition est un bon moyen de créer des liens sociaux, de ressentir que les choses changent. Elle devrait être soutenue comme faisant partie de la stratégie sur la santé mentale des villes.
Nous avons aussi besoin de projets communautaires comme Le mouvement de Transition qui se créé à l’échelle du quartier pour montrer aux habitants ce qui est possible de faire de façon à ce qu’ils puissent voir un futur différent, qu’ils puissent le toucher, le sentir. L’échelle communautaire est très intéressante car je pense qu’elle fait bouger les choses plus rapidement.
N'est-ce pas trop compliqué pour des personnes habituées à vivre dans une société individualiste, de penser et d’agir à l’échelle du collectif ?
C’est pourquoi nous avons besoin de groupes de transition qui ont les compétences pour inviter les personnes à les rejoindre et pour être vu comme quelque chose d’utile pour eux-mêmes. A aucun moment, je ne dis que cela est facile, si cela l’était, nous aurions réussi il y a des années, mais il existe tellement d’exemples et d’histoires qui montrent ce dont nous sommes capables. Si le gouvernement français avait traité le changement climatique avec la même urgence qu’il a traité avec le covid-19, où ils se sont assis avec les scientifiques, ils ont écouté lorsqu’ils leur ont dit ceci est une urgence, vous devez agir comme si cela en était une et que le gouvernement a répondu : nous allons trouver l’argent, changer la loi, payer les gens pour ne pas aller au travail, qui aurait pensé que cela pouvait être possible ? Le changement climatique est une urgence bien plus importante que le covid-19.
les Universités doivent déclarer l’Etat de l’urgence climatique
Dans votre livre “Et si... on libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons”, vous parlez de changements dans différents domaines, comme l’éducation, la santé, l’alimentation... avez-vous un exemple ?
Je vais vous parler d’un exemple qui n’est pas dans le livre. Ce projet se déroule dans la ville de Sheffield. Aujourd’hui, l’un des problèmes que rencontrent les agriculteurs avec le blé c’est que les épis sont génétiquement identiques. Si une maladie apparaît, le champ entier est détruit. A Sheffield, des personnes ont créé une nouvelle variété de blé, plus résiliente. Ils révolutionnent la production de blé, mais ils gardent également la moitié de leur récolte pour faire du pain, des gâteaux et faire la fête.
Parmi toutes les solutions possibles, comment choisir LA solution, surtout en cette période où l’on doit se dépêcher d’agir ? Comment pouvons-nous être sûr que c’est la meilleure chose à faire ?
Nous n’avons pas besoin qu’une personne invente la solution parfaite, elle existe déjà quelque part. Cela fait environ 15 ans que le mouvement “Villes en transition” existe, avec de nombreux exemples de projets. Nous n’avons pas besoin de partir de rien. Il faut regarder ce que l’on a déjà fait, s’inspirer, interroger les constructeurs et mélanger les initiatives.
Je pense aussi que nous devons agir comme des entrepreneurs. Dans 10 ans, le secteur le plus demandeur d’emplois sera celui de la transition. Il y a énormément de travail à fournir. Mais cela implique de changer notre façon d’apprendre aux jeunes. Les Universités doivent déclarer l’état d’urgence climatique. Aujourd’hui, les étudiants en économie apprennent encore les finances liées au siècle précédent. Nous ne pouvons plus faire cela car les temps changent.
Aujourd’hui, à quoi ressemble le mouvement “Ville en transition” et quelles sont ces perspectives d’avenir ?
Le mouvement est présent dans 50 pays avec près d’une centaine de communautés. La moitié ont créé des cellules nationales dédiées à cette transition. Certaines sont plus petites que d’autres, mais cela prouve que les pays reconnaissent l’importance de cette démarche. Le Luxembourg, par exemple, est l’un des plus avancés avec 19 personnes employés par le gouvernement. En France, c’est plus compliqué, mais l’organisation se fait surtout par région notamment avec le réseau transition Hauts-de-France.
Le Réseau Transition Hauts-de-France est une organisation en lien avec le mouvement “Villes et Territoires en transition” fondé par Rob Hopkins en 2005. Le réseau forme les citoyens, accompagne des initiatives et permet la rencontre de personnes en action. Le Réseau Transition Hauts-de-France a pour mission d’aider la transition dans la région. |
Elisa DESPRETZ & Bérénice ROLLAND