Pourquoi avez-vous fait le choix du « néorural » ?
J’ai grandi à la campagne dans une zone populaire en Normandie ouvrière. À 27 ans, j’ai choisi de chercher une vie en accord avec mes convictions. J’avais envie de revenir vers le militantisme. A l’époque, la lutte de Notre-Dame-des-Landes faisait l’actualité de l’ouest de la France. J’ai rencontré le père de ma fille et on a choisi de s’installer en agricole. Ni lui, ni moi n’étions issus de ce milieu. Nous n’avions pas d’expérience, pas de terre, pas de diplôme, ni de droit d’accès au sol. A peine un an plus tard, nous avions une ferme biologique de production de plantes aromatiques et médicinales, « L’Amante verte », et un café-librairie. L’idée était de monter un projet agri-culturel et un lieu ouvert, de convivialité, de militance. On voulait aller vers les autres, parler d’écologie à des gens pour qui cela ne voulait rien dire.
57% des urbains aimeraient quitter la ville et 81% rêvent d’un mode de vie rurale.
Qu’entendez-vous exactement par « exode urbain » ?
L’exode urbain, c’est le choix de citadins qui décident de prendre la route vers un endroit où ils désirent vraiment construire leur vie. En 2019, une étude de l’Ifop a révélé que 57% des urbains aimeraient quitter la ville et 81% rêvent d’un mode de vie rurale. Pour la majorité, les gens ne sont en ville que par contrainte. La question se pose alors, pourquoi rester ? Les promesses de la ville ne sont pas tenues : ce n’est pas un endroit où il y a de l’emploi, il y a moins d’emplois en ville par actif qu’en zone rurale, ce n’est pas un endroit où il y a de la qualité de vie, il faut vraiment être dans le premier décile (ndlr : salaire au-dessous duquel se situent 10 % des salaires) pour avoir un confort de vie en zone urbaine. J’ai fait le choix de partir et je pense, que de nombreuses personnes pourraient prendre ce chemin.
Neorural : les néoruraux désignent les nouveaux habitants des communes rurales, originaires de communes urbaines, s'installant dans un espace où ils n'ont pas d'attaches familiales. (Géoconfluence) |
Qu’est-ce qui rend la campagne si attractive ?
La campagne apporte bien sûr une qualité de vie. Mais j’insiste sur le fait que vivre à la campagne ce n’est pas juste choisir un cadre de vie. C’est une autre manière de vivre, un autre rythme, avec plus d’autonomie et donc une moindre dépendance à un système. Ce sont des relations sociales plus diverses, une ouverture à l’autre, à son altérité avec des niveaux d’âges, de revenus, de cultures, d’idées politiques très différentes. C’est le partage de savoir-faire, l’entraide.
Quels imaginaires avons-nous de la campagne, est-ce un frein pour l’intégrer ?
Il existe de nombreux préjugés sur la campagne : c’est réac’, on s’ennuie, etc. Je pense que c’est tout un imaginaire qui s’est construit à l’époque de l’exode rural. Et puis, c’est un message aussi. Je suis née à la campagne et on m’a toujours dit, si tu veux réussir ta vie, vas-t-en ! Rester, signifie renoncer à des études supérieures, se marier jeune, avoir des enfants jeunes, avoir des boulots moins qualifiés et des revenus moindres. Les gens qui sont partis ont l’impression de faire un retour en arrière, un peu comme s’ils avaient raté leur vie en ville. Et pour ceux qui ne connaissent pas, cela parait un monde tellement étranger qu’ils se disent qu’ils n’ont pas leur place.
Un message pas tout à fait exact… ?
Il n’y a pas une campagne, de la même manière qu’il n’y a pas une ville qui se ressemble. Les campagnes de l’est de la France ne sont pas à l’image de celles de ouest. Des zones de néo-beatniks (ndrl : jeune personne qui se révolte contre la société de consommation), aux espaces touristiques, ou encore de la campagne agro-industrielle, il existe beaucoup d’espaces différents. Il faut aussi trouver l’espace qui nous correspond, en termes de paysages, de communautés de vie, de projets…, on a le choix !
Il faut changer le rapport à la campagne. C’est culturel : arrêter de dire qu’il est impossible de construire un projet, de réussir sa vie à la campagne.
A quels obstacles se retrouvent confrontés les néoruraux ?
Souvent c’est l’intégration. Il est vrai qu’il existe des territoires particuliers, je pense aux Cévennes par exemple où l’on retrouve des situations de crispations assez fortes. Dans cette région, les néoruraux, comme les chasseurs vivent en bulle avec très peu d’espaces de contacts. Dans les zones de montagne aussi, on dit souvent que les gens ne parlent pas à leur voisin avant la fin du premier hiver. Pour ma part, je vois surtout des expériences très positives.
Le local qui se fait engueuler par un néorual, ancien citadien, à cause du coq qui chante est un mythe. Les conflits entre nouveaux arrivants et anciens sont très rares. André Torre, géographe à l’ENS de Lyon, a travaillé sur la question. Il explique qu’il existe très peu de conflits interpersonnels à la campagne, peu de plaintes, de mains courantes. Lorsqu’il y a conflit dans les zones rurales, en général, ce sont des conflits qui unissent les habitants contre un tiers. Typiquement, c’est l’autoroute qui va passer à tel endroit, la fermeture d’une maternité, l’ouverture d’une décharge. Dans les villes, à l’inverse, c’est plutôt les gens les uns contre les autres, aussi parce que l’on vit les uns sur les autres.
Comment pourrait-on mieux accompagner les néoruraux ?
Il faut changer le rapport à la campagne. C’est culturel : arrêter de dire qu’il est impossible de construire un projet, de réussir sa vie à la campagne. Un moyen aussi d’abolir l’antagonisme qui peut exister entre ruraux et urbains.
Un des enjeux de cette intégration des néoruraux est la façon dont se considèrent les ruraux qui les accueillent. La situation est difficile pour eux, car ils ont l’impression d’avoir été pendant longtemps méprisés et, tout d’un coup, venir à la campagne devient à la mode. Ils posent aussi une question légitime : ces nouveaux arrivants, viennent-ils pour le cadre ou pour rejoindre notre communauté de vie ? Prendre place dans le village ce n’est pas forcément se demander ce que le village peut faire pour toi, mais réfléchir à comment je peux contribuer à cet endroit, c’est encore le meilleur moyen de s’intégrer.
La transition est-elle en marche ?
Le renversement se fait. Les villes seront invivables dans les 30 prochaines années, ce n’est pas comme si nous avions le choix. Le chemin est plutôt de s’interroger sur comment faire pour que la transition se fasse en douceur et cohérence, et ainsi de permettre aux gens de s’épanouir. Pour cela, les enjeux sont multiples. Ils passent par les politiques publiques d’accès aux soins, aux droits, aux commerces et services du quotidien. D’autres défis sont aussi en jeu, comme celui de la mobilité avec le désenclavement des territoires, ou encore une gestion plus ordonnée du foncier.
Bérénice ROLLAND