Système de soin : du modèle curatif au modèle prédictif

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08 février 2023
Avec les avancées en Big Data et en matière de santé numérique, il devient possible de prévenir et d’anticiper un certain nombre de maladies graves. On assiste au basculement d’un modèle de soin curatif, à un modèle prédictif. Auteur de l’essai « La médecine du futur », le professeur et médecin Philippe Coucke s’intéresse aux changements nécessaires de notre système de soin.
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Couverture du livre Médecine du futur écrit par le Pr. Philippe Coucke

« Nos institutions sont à bout de souffle, mal financées et incapables d’assurer l’accessibilité, l’équité aux soins », avance le professeur Philippe Coucke, spécialiste en radiothérapie et santé publique. L’actualité ne manque pas de lui donner raison : fermetures de services d’urgences hospitaliers, conditions de travail difficiles et démissions du personnel, délais de rendez-vous allongés, déserts médicaux… Les symptômes visibles d’un système de santé en détresse sont nombreux, encore exacerbés avec la crise sanitaire. Il devient nécessaire pour le praticien de changer d’écosystème.  

Il oppose notre modèle actuel, dit curatif à un modèle préventif, selon lui plus profitable en matière de santé individuelle et sociétale. Aujourd’hui, « les structures de soin sont destinées à prendre en charge la maladie une fois installée », explique le spécialiste. Il n’existe que très peu de soins préventifs. Pourtant, « repérer les patients à risque et focaliser notre attention sur la prévention de ces patients serait beaucoup plus efficace », estime-t-il.  

La réussite de ce nouveau modèle repose sur la récolte de multiples données. Pour identifier les personnes à risque, nous devons être en mesure de les « stratifier sur la base de données ». Le professeur Coucke poursuit : une fois les données agrégées, on entre dans l’ère de la Big data. La puissance analytique et les algorithmes font le reste : « ils déterminent, a priori, quelle personne, compte tenu, d’une part, de ses prédispositions personnelles et génétiques et, d’autre part, de son environnement, serait à risque de développer telle maladie et, à ce moment-là, nous pourrons concentrer les efforts sur la prévention de ces individus ». Aujourd’hui, nous en sommes loin. La plupart de nos informations sont contenues dans un dossier médical, informatisé ou non, et sont bien souvent peu nombreuses, pas toujours fiables ou mises à jour.  

 

Une approche holistique  

Basculer d’un modèle à l’autre nécessite aussi « d’aller au-delà les silos de données purement hospitalier-soignant, à des données liées aux habitudes de vie des gens, à leur environnement ». Le professeur définie cette approche comme holistique (globale). D’ailleurs, la définition donnée par l’OMS en matière de santé ne se limite pas à l’absence de maladie, mais prend en compte les multiples dimensions de la santé d’un individu.  

 

Définition de la santé par l'OMS : la santé est un état complet de bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas simplement en une absence de maladie ou d'infirmité.

 

Pour le praticien, l’état de santé d’un individu ou d’une population ne peut être dissocié de son environnement. Ainsi, on commence tout juste à comprendre l’impact du changement climatique sur la santé d’une population. « On observe une augmentation des malformations cardiaques, du diabète 1 et 2, des maladies chroniques en lien avec la crise climatique », affirme le médecin. Pour lui, il est urgent de modifier notre manière de penser les soins et l’environnement. « Sinon, la génération Y va coûter entre 30% et 40% plus cher, avec une forte mortalité chez ces patients-là », alerte-t-il. 

 

Aujourd’hui, 25% à 40% du temps du médecin est dédié à des tâches administratives.  

 

Un système de soin en distanciel²  

Et concrètement, à quoi pourrait ressembler le système de soin de demain ? « On pourrait imaginer un système où le patient serait connecté à l’internet des objets médicaux », propose le professeur. Un objet connecté, un peu à l’image des montres, fournirait au réseau des données sur l’individu, en continue. Au travail ou à la maison, les données du patient seraient analysées par une IA. Des messages d’alertes seraient ensuite générés vers les soignants qui convoqueraient le patient pour une consultation ou téléconsultation. « Dans ce contexte, il y aura un shift des structures hospitalières telles que nous les connaissons vers des soins ou du contrôle à distance », prédit-il.  

Parmi les avantages de ce système, l’automatisation va libérer du temps pour les soignants. Un temps précieux lorsque l’on sait que 20 millions de soignants manqueront à l’appel en 2030, selon les prédictions de l’OMS. Ce temps sera aussi mis à profit pour recentrer le métier du soignant sur son essence même : l’empathie, l’explication et l’accompagnement du patient dans un trajet de soin. A contrario de ce qui se passe aujourd’hui, où 25% à 40% du temps du médecin est dédié à des tâches administratives.  

 

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Professeur Philippe Coucke

 

Des données “pour la science” 

Un des enjeux de cet internet des objets et la protection des données. Pour le professeur, nous vivons déjà dans un monde où les dossiers médicaux sont des cibles faciles pour les hackers. La dernière cyberattaque en date, l’hôpital de Corbeil-Essonnes a vu les informations personnelles de ses patients diffusées sur le Darknet. Or, pour que le modèle préventif marche, « les données doivent provenir d’une multitude de sources qui ne sont aujourd’hui pas assez sécurisées », précise le professeur Philippe Coucke. Notre retard est grand et pourtant, pour lui, la technologie pour résoudre ce problème existe : la blockchain. Il insiste sur un point : « il ne faudrait pas que mes informations médicales tombent entre les mains des GAFA pour des intérêts commerciaux ou encore, qu’elles se retrouvent à la première page du Monde, mais il faut aussi savoir que ces données individuelles ont un intérêt collectif ». Elles sont utiles à la société pour une prise en charge plus efficace des citoyens. Le médecin appel donc à un concept de philanthropie des données, à l’image du don d’organe : « je mets à disposition ses données à but de recherche, à condition qu’elles soient protégées ».  

 

On développe de nouvelles approches thérapeutiques qui semblent être efficace pour autant que l’on s’y attèle tôt.

 

Et, quand est-il du droit de ne pas savoir ? Faut-il oui ou non informer un patient qu’il a de forte chance d’avoir une maladie grave plus tard ? Pour le professeur, la réponse est claire : « je fais partie de ceux qui pensent que les soins de santé sont une collaboration entre un patient et un soignant et que celle-ci n’est efficace que s’il y a de la transparence ». Dans sa façon de gérer ses consultations en tant que cancérologue, il part du principe que ce n’est pas à lui de prendre une décision lorsqu’il s’agit d’un traitement lourd. « Bien sûr, il ne sert à rien de paniquer les gens à l’avance s’il n’existe aucun moyen de prévention ou de traitement ».

Il prend l’exemple d’Alzheimer. « On développe de nouvelles approches thérapeutiques qui semblent être efficace pour autant que l’on s’y attèle tôt ». Plus important encore, on commence à comprendre l’impact de l’environnement sur la démence.  « En expliquant aux gens que s’ils continuent à fumer, boire ou ne pas exercer leur cerveau ils pourraient accélérer la genèse de la maladie, vous leur donnez des clés en matière de prévention ». 

Bérénice ROLLAND

 

 

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