Qu’est-ce qu’un think tank ? Ce sont des groupes de réflexion ou laboratoires, qui ont pour mission de produire des études et d’élaborer des propositions sur des thèmes d'intérêt général, au service des décideurs. |
Il existe un dicton : « Petits enfants, petits problèmes, grands enfants, grands problèmes », « et cela se vérifie », soutien Nathanaël Mion, Directeur scientifique de Vers le Haut. L’insertion sur le marché du travail, tout comme les études, est une source d’inquiétude pour les parents. Mais au-delà de leur avenir, c’est tout au long de l’enfance que les problématiques existent.
Le think tank Vers le Haut, consacré aux questions de jeunesse et d’éducation, est parti de ce constat : « l’importance du soutien à la parentalité dès le début de l’enfance et l’insuffisance de ce qui est fait en France ». Lancer une campagne de soutien à la parentalité, former les enseignants, créer des lieux d’échanges entre parents, rédiger une charte de la parentalité en entreprise, etc. , au total, ce sont près de 40 recommandations que le groupe de réflexion a pu identifier. Et les solutions existent déjà ! Le travail du think tank est de « partir de ce qui fonctionne déjà sur le terrain », dans une logique d’essaimage.
Des conditions socio-économiques déterminantes
Tous les parents ne sont pas égaux dans l’accès aux ressources éducatives : activités, conseils pour les enfants en bas-âges, etc. Une étude a démontré que la différence du nombre de mots inculqués à l’enfant est considérable selon la catégorie socio-économique. Et cela joue sur le développement de l’enfant, ses résultats scolaires, ainsi que son intégration dans la société. Alors comment pallier cette inégalité ? La raison d’être de l’association des 1001 mots, repérée par Vers le Haut, est de développer les interactions des enfants avec leurs parents.
5 % d’enfants de familles défavorisées ont accès à une crèche, contre plus de 20 % pour les familles aisées.
Près de 25 % des familles sont monoparentales selon l’INSEE. Cette métamorphose de la structure du foyer n’est pas sans conséquence. Souvent, ce sont des femmes seules, qui cumulent les emplois et manquent de temps au quotidien avec leurs enfants. Une difficulté qui existe déjà dans les typologies de familles plus classiques. « Être parent cela prend du temps et le temps des parents n’est pas aligné à celui des enfants », affirme Nathanaël Mion.
Plus largement, certains facteurs sociaux rendent plus difficiles les conditions d’exercer son rôle de parent. L’accueil dans les crèches est facilité pour les familles aux revenus élevés : 5 % d’enfants de familles défavorisées ont accès à une crèche, contre plus de 20 % pour les familles aisées. La langue pose aussi un problème pour les familles qui ne parlent pas le français et qui ne possèdent pas les codes de l’institution scolaire.
Rupture des parents et de l’école
« Le lien entre l’univers scolaire et les familles n’est pas satisfaisant en France », constate Nathanaël Mion. Il existe une méfiance vis-à-vis des familles. A l’époque, cette méfiance était saine. L’école avait pour rôle d’arracher les enfants à leurs déterminismes sociaux et a des systèmes d’inégalités pour leur donner une base commune. La situation, aujourd’hui, s’est complexifiée avec des interactions difficiles entre le milieu scolaire et la famille. Les lieux d’échanges avec l’école sont insuffisants. Certains dispositifs existent, comme le site gouvernemental La Mallette des parents, dont la mission est de renforcer le lien de confiance école-parents, mais ils sont peu répandus. Et quand il y a rencontre, ce n’est généralement pas pour annoncer de bonnes nouvelles. « Les parents se rendent aux réunions parents-professeurs avec souvent l’angoisse au ventre », se désole Nathanaël Mion. C’est parfois au-delà de nos frontières que les solutions existent. Dans ce cas, nous pourrions nous inspirer des réunions parents-professeurs en Irlande. Lors de la première rencontre, on parle seulement de ce qui se passe bien avec l’enfant.
Investir dans la petite enfance
En France, le débat public sur l’éducation tourne autour de l’école. Pourtant, beaucoup de travaux scientifiques récents insistent sur le rôle crucial des familles dès la petite enfance, et même avant la naissance. L’école peut corriger des inégalités, mais ce qui se joue dans les premières années de l’existence a un impact beaucoup plus fort. C’est ce qui ressort d’une étude récente, réalisée par l’américain James Heckman, Prix Nobel d’économie. Ces travaux montrent que « l’investissement social dans la petite enfance a un fruit beaucoup plus fort que l’investissement que l’on peut avoir plus tard dans le raccrochage scolaire ou l’insertion professionnelle », explique Nathanaël Mion. Dans la lignée de ces publications, le gouvernement a lancé une campagne de communication sur les 1000 premiers jours de l’enfant. Un site dédié a également été mis en place, qui se veut comme une boite à outil pour les parents.
« Les parents, premiers éducateurs de leurs enfants, doivent être le centre des politiques éducatives », déclare Marc Vannesson, délégué général de Vers Le Haut. En dépit de cela, le soutien à la parentalité n’est que peu intégré dans les politiques publiques. Sur les 110 millions d’euros consacrés à la parentalité dans les lois budgétaires de 2020, seul 2 % des dépenses sont dédiées à la branche famille.
C’est par le dialogue que l’on répondra aux défis du système éducatif.
Une prise de conscience des acteurs publics
« Ce sont des sujets que l’on commence à prendre en compte », affirme Nathanaël Mion. Dans la stratégie interministérielle de lutte contre la pauvreté, un volet sur le soutien à la parentalité a été inclus. De même, le rapport sur les 1000 premiers jours va donner lieu à des initiatives telles que la création d’un kit pour aider les parents. « Tout se joue sur le long terme », ajoute-t-il. La bascule s’opère aussi chez les entreprises. Elles prennent conscience de l’importance d’aménager des temps pour leurs salariés, de leur donner accès à des formes de travail plus modulées. « Il n’y a pas de loi vers le haut, mais on travaille en lien avec des acteurs et on voit qu’il y a une reprise de certaines propositions que l’on peut faire », se réjouit le spécialiste.
Pour changer les choses, il faudra une volonté forte de la part de l’ensemble des acteurs éducatifs. Nathanaël insiste, « il est essentiel que les professeurs de l’éducation et de la petite enfance soient formés au dialogue avec les parents ». Cela suppose de valoriser le temps de travail avec les familles. Cela passe aussi par des alliances éducatives. « On ne peut pas résoudre la question éducative si on en reste à l’école, il y a beaucoup d’autres acteurs : collectivités locales, associations, entreprises et évidemment les familles et les parents ». Il conclut : « C’est par le dialogue que l’on répondra aux défis du système éducatif ».
* Etude TMO Régions réalisée pour la CNAF en janvier et février 2016 auprès de 6 622 parents d’enfants âgés de 0 à 17 ans. In L’e-ssentiel n°165, 2016
Bérénice ROLLAND
Pour aller plus loin :
Les parents et l'école - Olivier Rey, Annie Feyfant
Rapport de la commission des 1000 premiers jours
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