Les dernières conclusions du GIEC sont alarmantes avec un réchauffement climatique plus rapide que prévu, quel constat faites-vous ?
Aujourd’hui, les aléas climatiques se multiplient avec un aléa par jour sur la planète (tempête, canicule, etc.). Le tout pour 1,1°C d’augmentation de la température mondiale en un siècle. Se pose alors la question : jusqu’où va-t-on comme ça ? On sait que l’on atteindra les 2°C d’élévation de température moyenne sur le globe quoiqu’il arrive. Ce constat, on ne peut rien y faire. Il faut à la fois s’adapter, car les aléas vont s’accentuer dans les années à venir et, en même temps, tout faire pour réduire, atténuer les émissions de Gaz à effet de serre (GES).
Pour ne pas dépasser ces 2°C, nous devons avoir résolu le problème d’ici 2050, soit en une génération. Le terme consacré, notamment par les COP, est de viser la neutralité carbone. L’ADEME parle plutôt de neutralité climatique. Les émissions de GES dépendent ainsi de trois curseurs avec lesquels nous pouvons jouer : l’énergie, la société de consommation et la biodiversité. Il existe un jalon intermédiaire en 2030, appelé le « fit for 55 », c’est-à-dire une réduction de 55% de nos GES par rapport à 1990, soit en 8 ans seulement.
8 ans, c’est très peu pour embarquer l’ensemble de la société vers la neutralité climatique. Qui peut agir ?
Les citoyens détiennent une première partie de la réponse. En tant que consommateurs, ils ont une responsabilité dans leurs choix d’achats, d’équipements, de déplacements, dans leurs modes de vie en tant que tels. Les acteurs économiques qui fabriquent ou produisent des biens et services concentrent une autre partie de la réponse. Enfin, le troisième groupe concerne les acteurs publics : agences, ministères, gouvernements, collectivités locales, bailleurs soit, l’ensemble des décideurs de la sphère publique. Ils ont un rôle à jouer par exemple, dans l’aménagement du territoire, le partage de la voirie, la place donnée à la biodiversité…
Des acteurs qui préfèrent se renvoyer la responsabilité plutôt que de l’endosser, n’est-ce pas le meilleur moyen de maintenir le statu quo ?
C’est l’histoire de la poule et de l’œuf. L’acheteur va affirmer que l’offre n’existe pas et le fabricant qu’il n’y a pas de demande. Pour embarquer tout le monde, nous devons construire une vision collective, pas seulement les projections des uns et des autres, mais de l’ensemble des acteurs. Chacun à ses contraintes et il faut se mettre autour d’une table pour pouvoir en discuter et créer une vision partagée.
Aujourd’hui, qu’est-ce qui nous empêche de passer à l’étape supérieure dans la transition écologique ?
Lors des dernières Assises européennes de la transition énergétique, en juin 2022, nous avons voulu traiter du thème des neurosciences. Depuis 5 à 10 ans, les neurosciences ont largement progressé sur les questions liées à la transition écologique. Sébastien Bohler, spécialiste du sujet, à notamment découvert pourquoi, alors que nous avons conscience de l’urgence climatique, nous continuons à acheter des SUV ou à fabriquer des vêtements à l’autre bout de la planète. Pour le chercheur, notre cerveau, comme celui de tous les animaux, s’est structuré il y a plusieurs millions d’années dans une situation de survie. Une de ses parties les plus anciennes, le striatum fonctionne avec 5 programmations : manger, se reproduire, gagner en confort, se protéger et s’élever dans le groupe. A chaque objectif atteint, de la dopamine est sécrétée. Elle nous procure du plaisir et nous incite à répéter les comportements associés. A l’intérieur de ce striatum, nous avons le cortex qui correspond à l’intelligence. La difficulté est que ce cortex, qui nous permet de comprendre le réchauffement climatique et ses conséquences sur le long terme, est au service du striatum et donc, de nos besoins à court terme. Quiconque parle de sobriété, m’empêche de consommer et porte ainsi atteinte à ma survie.
Mais alors, comment faire pour que notre intelligence prenne le dessus sur cet "instinct de survie à court terme" ?
Il faut construire un imaginaire collectif qui procure autant de dopamine que la programmation initiale de notre cerveau reptilien. Concrètement, il s’agit de réussir à utiliser notre intelligence pour reprogrammer une autre forme de satisfaction des besoins et du bonheur.
Avez-vous des exemples concrets d’applications ?
La ville de Nuremberg, en Allemagne, a par exemple été nommée la capitale européenne de la dématérialisation. Ses habitants ont réfléchi à un moyen pour ne plus acheter de produits qui viennent d’ailleurs comme des jouets made in china. Ils se sont mis à offrir des places de spectacles, des abonnements sportifs, etc. L’idée était de vendre de l’émotion sans passer par la case production de biens de consommation.
Plus localement, dans les Hauts-de-France, une réflexion a été menée sur le textile lors des Trophées nationaux de la mode circulaire. La région Lille-Roubaix-Tourcoing a en effet une longue histoire autour de la dentelle de Caudry-Calais. Une fierté locale sur laquelle on peut jouer. Le but est de recréer un renouveau d’industrie textile, mais cette fois avec du plastique recyclé, du mérinos.
Il faut actionner des leviers sur lesquels on apporte du plaisir, de la fierté, de l’émotion et du sens.
En ce moment, avec la crise énergétique, nous sommes plutôt dans l’idée d’une sobriété contrainte. Quelles visions collectives propose l’ADEME pour atteindre la neutralité climatique ?
A la suite du rapport RTE qui se consacre uniquement sur l’aspect énergétique, l’ADEME a sorti son propre rapport de prospective, cette fois, pour atteindre la neutralité climatique, d’ici 2050. Au total, il existe 4 scénarios. Et le premier constat que l’on peut faire est que, pour atteindre la neutralité climatique, il faudra passer par la case sobriété. C’est le cas des trois premiers scénarios et notamment du S1, « génération frugale » où se met en place une économie de la fonctionnalité, les moyens de déplacement sont partagés, ou encore, on mangera 3 fois moins de viande. Cette frugalité est contrainte, mais elle passera aussi par des dispositifs incitatifs. Le seul point noir : son côté clivant. Une partie de la population qui se trouve dans le besoin ne comprendra pas, car elle se retrouve totalement dans la société de consommation. A l’opposé, le S4, « Pari réparateur » : rien ne change au mode de consommation actuel et on mise tout sur des technologies comme la captation de CO2 dans des puits de carbone. Un pari risqué, car ces technologies, encore en phase de test, sont aussi très coûteuses.
Au centre, le S2, « coopération territoriale », l’idée est d’estomper la concurrence entre les territoires et de les spécialiser. Pour cela, il sera nécessaire de réfléchir à des modes de gouvernance évolutifs pour créer du lien entre les acteurs. Enfin le S3, « technologie verte », on explore un chemin avec une forte décarbonation de l’industrie. Plus de technologie et moins de partage. Plus de consumérisme, mais vert.
Bérénice ROLLAND
Hervé Pignon sur le plateau TV de la Biennale ECOPOSS
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