Vous écrivez dans votre livre Zoocities que la ville est historiquement pensée contre la nature, que voulez-vous dire ?
On s’aperçoit qu’il n’y a pas de nature en ville, mais on s’aperçoit moins que les villes ne sont pas faites pour la nature. Les villes sont construites contre une certaine dimension de la nature humaine, qui tient à la bestialité ou à l’animalité. D’un autre côté, la ville est un abri contre la dangerosité inhérente à la nature et au sauvage. Destinée à repousser les barbares, les maladies, la végétation, les animaux..., elle est un refuge au monde sauvage.
Et dans nos villes actuelles ?
Cette exclusion de la nature reste très présente dans notre mentalité, notre inconscient urbain. Lorsque l’on côtoie des architectes, urbanistes ou collectivités territoriales, on se rend compte que cette imagination est encore très présente : la considération pour la nature est extrêmement faible. On privilégie la rationalité, la planification, à la nature, imprévisible et qui fait désordre. Il existe beaucoup d’animaux sauvages en ville pourtant, on ne les voit pas. Si on s’aperçoit de leur présence, on les considère comme des intrus. Quant à la végétation, elle reste contrôlée : on accepte les arbres en pots ou derrière des barrières.
Par ailleurs, les villes anti-natures sont responsables de la détresse écologique dans laquelle on se trouve. Leur population de plus en plus grande et le fait qu’elles ne produisent rien de ce dont elles ont besoin, entraînent la colonisation des campagnes et de la nature alentour dans des proportions hallucinantes.
Depuis quelque temps, on observe de plus en plus d’animaux sauvages en ville et ce, alors qu’ils ne sont pas les bienvenus. Pourquoi ?
Avec la destruction des écosystèmes, les animaux ne trouvent plus de quoi subsister. Ils se dirigent vers les villes. On assiste à l'exode urbain de certaines espèces : éléphants, kangourous, ibis, vautours, ratons laveurs... En parallèle, les villes se « verdissent ». Les animaux sauvages y trouvent tout ce dont ils ont besoin : de l’eau pour se rafraîchir, de la nourriture grâce aux déchets, de la chaleur ou du froid. Ainsi, plus on va végétaliser nos villes, plus les animaux vont chercher à y trouver refuge. Un autre facteur accentue aussi ce phénomène : les bidonvilles. Ces zones insalubres autour des villes, sans ramassages de déchets, recyclage ou évacuation des eaux usées, créent un écosystème favorable à de nombreuses espèces. On parle d’animaux opportunistes, mais en fait ils ne font que vivre de la misère humaine. C’est le cas des rats, renards et chacals.
Tant que les activités humaines seront destructrices, beaucoup d’animaux vont continuer de tenter leur chance dans les zones urbaines.
A l’avenir, que va-t-il se passer ?
Tant que les activités humaines seront destructrices, beaucoup d’animaux vont continuer de tenter leur chance dans les zones urbaines. Réfléchir à un voisinage avec eux, c’est aussi une manière de cesser d’être destructeur de l'environnement.
Quel(s) type(s) de voisin(s) sommes-nous pour ces animaux qui s’invitent en ville ?
Deux réactions primaires et extrêmes opposent les humains sur notre façon de traiter les animaux que l’on côtoie. L’une, consiste à opter pour un geste éradicateur : l’animal me gêne, je le tue. Un geste qui perpétue la hantise de la nature et sa destruction. Sur le terrain, l’éradication ne marche pas toujours. Elle peut engendrer des problèmes plus grands que ceux que l’on veut régler, comme l’a montré la grande extermination des moineaux par Mao Zedong. L’autre attitude consiste à pratiquer une certaine forme d’hospitalité vis-à-vis des animaux sauvages, par exemple, à leur donner à manger. Une conduite contre-productive : les nourrir les rend dépendants, cela ne leur fait pas du bien et peu les rendre dangereux. Il existe un dicton anglais : « a fed bear is a dead bear », un ours nourri est un ours mort. On passe très vite de l’affection, à la haine, à la phobie. C’est aussi une autre forme de maîtrise et de domination sur les êtres vivants.
Si on ne doit ni les tuer, ni les nourrir, alors, que faire ?
D’abord, il faut observer, apprendre. On doit devenir des naturalistes. A partir de l’observation des animaux, on peut faire des hypothèses sur leurs besoins en déplacement, en nourriture, en espace et en tranquillité. Nos enfants connaissent mieux leurs écrans que la nature. On pourrait imaginer des programmes scolaires sur la façon de se conduire vis-à-vis des animaux sauvages.
Comment pourrait-on aménager les villes pour les accueillir et faciliter cette coexistence homme-animal ?
On doit condamner tous les orifices de la maison, de la cave au grenier pour ne pas avoir à déloger des familles de fouines, belettes, loirs ou souris. On peut aussi opacifier les fenêtres des immeubles, surtout des baies vitrées, pour éviter que les oiseaux s’écrasent dessus, ou encore aménager des corniches et des toits pour permettre aux lézards et oiseaux d’accomplir leur cycle de vie.
Quels sont les bénéfices d’un retour des animaux en ville ?
En ville, les animaux se dispersent, ils sont territoriaux et trouvent leur espace. On dit qu’ils s’auto-régulent. Si on laisse faire, on pourrait retrouver une qualité de vie, un spectacle esthétique et une forme de plaisir à être en contact avec des espèces naturelles. La nature n’est pas là pour faire jolie. Elle participe de l’existence humaine et on doit considérer les animaux comme des partenaires d’interactions. Il y a aussi un bénéfice sanitaire : si on intervient le moins possible et que l’on régule la coexistence, les risques de maladies diminuent. Les animaux recréent un écosystème avec les distances qui conviennent entre les espèces. Ce n’est pas en les entassant dans des parcs, des zoos, des marchés ou sur des sites de nourrissages que l’on va garder le contrôle. L'enjeu principal est de trouver la bonne distance pour laisser la nature se déployer.
Bérénice ROLLAND
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