« On parle beaucoup de transition, mais personne ne sait comment on la fait », Mathieu Labonne, plante le décor. Successeur à la présidence du Mouvement Colibris, à la suite de Cyril Dion, Mathieu est aujourd’hui directeur général de la coopérative Oasis. Sa mission : recenser et accompagner le développement des éco-lieux sur tout le territoire français. Lieux de vies en collectif, ces Oasis du vivre-ensemble cherchent à expérimenter « une autre forme de société, plus écologique, plus solidaire ». Producteurs d’idées nouvelles, de façons de cohabiter nouvelles, ce sont des « laboratoires de la transition ». Mathieu poursuit, ce sont les « seuls endroits où l’on arrête de parler [d’écologie] et on teste », ce qui est « assez inédit ».
Ces collectifs veulent accéder à une forme d’autonomie, de sobriété. Pour cela, ils doivent reprendre en main leurs besoins, repasser du statut de consommateur à celui de producteur. Mais cette fois, ils ne vont pas agir seuls. Le fait d’être à plusieurs, cela « simplifie ce mode de vie », on mutualise les compétences et il y a beaucoup d’entraide. Chacun joue un rôle au sein du groupe. Dans son écohameau du Plessis, en Eure-et-Loir, Mathieu est apiculteur, sa femme et ses enfants s’occupent du poulailler, et son voisin menuisier, a construit un escalier en bois dans leur maison en paille.
Mais l’influence des Oasis va au-delà de leurs frontières. Epiceries associatives, maraîcher bio, monnaie locale, etc. , on retrouve toutes sortes d’initiatives sur le terrain. Ce sont des catalyseurs à l’échelle locale. L’équipe de la coopérative a mené des travaux de recherche et constaté que « sur une durée de 10 à 15 ans, ces lieux transforment leur territoire ». Pour Mathieu, le côté démonstrateur de ces projets convainc. « Le fait de voir nos voisins vivre comme ça, c’est beaucoup plus puissant », explique Mathieu, voir de ses propres yeux les projets incitent à les reproduire.
Aujourd’hui, le réseau compte près de 1100 lieux en France. Mathieu observe une forte accélération depuis quelques années, « il y a plus de 100 nouveaux projets qui se concrétisent par an, sans compter ceux que l’on ne voit pas ». Le réseau mondial des écovillages parle d’une révolution française. La crise sanitaire a amplifié le phénomène. Les groupes formés sont aussi plus solides dans leur engagement, moins naïfs. Ce ne sont pas du tout les mêmes communautés que pendant les années 70. Leur façon de vivre ensemble « mono générationnelle et peace and love » avait engendré de nombreux échecs. Et « c’est bien connu, en France, on n’aime pas échouer », déplore Mathieu. Les collectifs actuels ont des ambitions politiques plus affirmées. Pour ne pas répéter les mêmes erreurs que leurs prédécesseurs, ils font le choix de s’outiller, de se former.
En savoir plus : Base de données nationale des oasis et habitats participatifs, le fruit d'une collaboration entre la Coopérative Oasis et Habitat Participatif France.
« On passe beaucoup plus de temps avec les gens. »
Mathieu revient avec enthousiasme sur son quotidien : la vie en collectif dans un Oasis. Un investissement, selon lui, en temps et en argent. « On passera beaucoup plus de temps à faire des réunions, des régulations, […] mais beaucoup moins à faire ses courses ». Il y a toujours un retour sur investissement. Le fait de mutualiser les équipements, par exemple une buanderie : on réduit l’espace chez soi, une voisine s’occupe de la lessive faite maison, … « On arrive à une vie très efficace ».
Dans un monde où les gens travaillent sur un écran et lorsqu’ils rentrent chez eux, regardent des séries jusque tard, on a peu de place pour les relations humaines. Dans les Oasis, « c’est différent, affirme Mathieu, on passe beaucoup plus de temps avec les gens ». Il ajoute, « on vit plein de choses, on croise des gens et la vie est relativement joyeuse ». Le vivre-ensemble exige des rituels : chants, danses, jeux. Mathieu anime des bals folks dans son éco-lieu, « quelque chose que je n’aurais jamais fait en dehors ». Il sort de sa zone de confort et se dit satisfait : « d’une intensité de vie en termes de points positifs mais aussi de difficultés ».
Mathieu reste lucide sur les défis qu’impose ce mode vie. Il identifie deux échelons de difficultés : l’individuel et le collectif. L’individu lui-même, s’il manque de compétences ou ne fait pas de travail sur soi, ses émotions et son ego. La société nous pousse à avoir une posture individualiste, mais Mathieu met en garde : « Le collectif est une forme de contrainte, on ne fait ce que l’on veut tout le temps ». Et le collectif : mettre en place des liens sains et satisfaisants demande une connaissance fine de l’être humain. Pour cela, « il faut sortir des grands principes et se confronter au réel ».
Des tensions peuvent naître du fait de nos différences. Pour Mathieu, elles se transforment en conflit lorsque l’on ne sait pas identifier les polarités d’un groupe. « On aura des gens qui vont vouloir accueillir plein de monde et d’autres qui veulent vivre simplement, rester entre eux », il faut en avoir conscience et prendre soin de ces deux polarités. La vie en collectif demande une forme d’exigence. Elle nécessite un apprentissage du fonctionnement humain, des relations et des processus de gouvernance. Une question se pose : ce mode de vie est-il fait pour une poignée de personnes ou peut-on le démocratiser ?
« Il y a une créativité de la société civile à cette échelle-là. »
Mathieu a conscience qu’ « aujourd’hui, tout le monde ne peut pas vivre comme ça […], c’est un peu utopique ». Même si « de plus en plus de gens sont prêts à s’ouvrir à ce mode de vie », convaincus surtout par l’aspect concret des projets. Il y a un intérêt écologique oui, mais aussi économique et social. Un dernier point qui a son importance, car pour Mathieu, « tout le monde meurt du manque de lien social dans la société ». Cette solitude touche les personnes âgées, mais elle est aussi générée par le modèle urbain qui est, selon lui, une véritable « fabrique de l’anonymat ». Les éco-lieux sont des espaces où l’on s’intéresse les uns aux autres, on prend soin les uns des autres. Un argument de poids lorsque l’on sait que près de 7 millions de Français sont touchés par la solitude, soit 14 % de la population, selon une étude de la Fondation de France.
Les Oasis incarnent une autre échelle : celle de l’écologie relationnelle. En France, on voit l’écologie à travers un double prisme : l’échelle individuelle, avoir les bons gestes et l’échelle nationale, politique. Mais il existe des échelles intermédiaires toutes aussi intéressantes : le voisinage, le quartier, le collectif. Mathieu le constate au quotidien : « il y a une créativité de la société civile à cette échelle-là ». Il va même encore plus loin, « le prérequis de toute transition, c’est que ce soit une transition collective-locale ».
Recréer du collectif est-ce indispensable ? Pour cet écologiste convaincu, la réponse est évidente : « Je ne vois pas comment on peut faire un facteur 6 de réduction de gaz à effet de serre sans recréer des modes de vie plus collectifs. ». On sait que le nombre de m2 par personne d’habitation n’a fait qu’augmenter. Conséquence de notre passage de modes de vie très communautaires à des modes de vie individualistes. On sait aussi que si on habite dans un appartement tout seul, on va occuper plus de m2 que si l’on habite à 4. Pour Mathieu, « c’est mécanique : si on partage, on mutualise, on consomme moins ».
Pour autant, il tient un discours loin du « shame écologique » : « Parfois la marche est trop grande pour passer à ce type de vie », il faut du temps. Et ce n’est pas grave, affirme Mathieu, l’ancrage des « Oasis dans les territoires animent déjà une vie citoyenne sans que tout le monde n’ait à vivre comme ça ».
Bérénice Rolland
Pour aller plus loin :
Les règles pour réussir son oasis ? - Coopérative Oasis
Global Ecovillage Network
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